Dans une précédente étude basée sur la cohorte Eden (Peyre et al., 2016), nous avions montré que les enfants à haut QI de 5 ans et demi n’avaient pas plus de troubles psychologiques que les autres.
Les enfants ont grandi, et nous leur avons fait passer de nouveaux tests et questionnaires à l’âge de 11 ans et demi. Grâce à ces nouvelles données, nous avons conduit une nouvelle étude prolongeant la première dans plusieurs directions (Shevchenko et al., 2023):
- Nous analysons les liens entre indices de QI et troubles psychologiques à 11 ans et demi, avec des échelles de psychopathologie plus complètes (non seulement le SDQ déjà utilisé à 5 ans et demi mais aussi le CBCL et le MIA).
- Nous analysons les liens entre les écarts entre QI verbal et non-verbal et troubles psychologiques, afin de tester l’hypothèse plus spécifique selon laquelle les profils de QI hétérogènes (manifestant des écarts entre composantes verbales et non-verbales) seraient un facteur de risque pour les troubles psychologiques.
- Plutôt que de nous focaliser sur les hauts QI, nous examinons ces relations sur l’ensemble de la distribution des scores de QI.
Revue systématique de littérature
Dans le tableau 1 p. 3-4 nous passons en revue toutes les études antérieures qui ont comparé les symptômes et troubles psychologiques entre individus à haut QI et ceux à QI normal. Ce que montre ce tableau, c’est que les études qui ont rapporté que les HQI avaient plus de symptômes psychologiques que les autres sont généralement des études basées sur des échantillons petits et biaisés (élèves HQI dans une école ou une classe spécialisée, HQI qui consultent, membres de Mensa). A l’inverse, les études qui ont identifié les HQI au sein d’une grande population ont généralement trouvé qu’ils avaient moins ou autant de symptômes. Ce constat permet de mieux comprendre les contradictions apparentes entre les études publiées.
Quels liens entre QI et troubles psychologiques ?
Comme dans nos précédentes études (Peyre et al., 2016; Williams et al., 2023), nous avons trouvé que lorsque le QI augmente, les symptômes psychologiques diminuent ou restent constants. Ils n’augmentent dans aucune de nos nombreuses analyses, que l’on considère le QI total, verbal, ou de performance, les instruments SDQ, CBCL ou MIA, et les échelles de troubles internalisés, troubles des conduites, difficultés sociales, ou TDAH.
Dans les suppléments de l’article on peut explorer toutes les figures montrant les relations entre toutes les combinaisons d’indices de QI et d’échelles de symptômes, à 5 ans et 11 ans et demi.
Quels liens entre QI hétérogènes et troubles psychologiques ?
Nous avons analysé l’hétérogénéité des indices de QI de deux manières :
- La différence absolue entre les indices verbaux et de performance |VIQ-PIQ|, pour tester l’hypothèse qu’un écart important, dans un sens ou dans un autre, est associé avec des symptômes psychologiques.
- La différence relative entre les indices verbaux et de performance VIQ-PIQ, pour tester l’hypothèse qu’un écart important dans un sens donné est associé avec des symptômes psychologiques. L’hypothèse qu’on entend le plus souvent est que c’est lorsque que l’intelligence verbale est très supérieure au reste que les problèmes surviennent.
Comme le montre la figure ci-dessous, il y a une relation parfaitement plate entre les écarts d’indices de QI et les symptômes psychologiques. Même lorsqu’un indice est de 40 points supérieur à l’autre, les symptômes psychologiques ne sont pas plus élevés.
Conclusions
Nous avons confirmé les résultats de nos précédentes études chez des enfants français de 11 ans et demi : lorsque le QI augmente, les symptômes psychologiques n’augmentent pas. Par ailleurs, nous avons montré que l’hétérogénéité des indices de QI n’était pas non plus un facteur de risque de troubles psychologiques.
Ce dernier résultat surprendra sans doute nombre de psychologues, tant ils observent souvent des QI hétérogènes chez les enfants qui ont des troubles psychologiques ou cognitifs. Il n’y a pourtant pas de contradiction : il est vrai que les déficits cognitifs et les troubles psychologiques peuvent entrainer des baisses de performance dans certains subtests, et peuvent donc faire baisser certains indices mais pas d’autres, induisant des écarts parfois importants. Simplement, les écarts entre subtests et indices sont fréquents aussi dans la population tout-venant (Labouret, 2022; Labouret & Grégoire, 2018), sans doute plus que la plupart des psychologues ne le réalisent (ils voient beaucoup moins cette population). Par exemple, dans le WISC-V français, seuls 34,8% des sujets n’ont aucun écart significatif entre leurs indices. Il n’y a donc aucune conclusion clinique à tirer du seul fait d’observer des écarts entre indices. Une mise en lien avec les difficultés rapportées par ailleurs et d’autres outils d’évaluation restent nécessaires pour établir des symptômes cliniques et permettre de formuler des diagnostics.
Cette observation illustre le biais d’échantillonnage dont doivent se méfier les cliniciens : en ne voyant que des personnes qui ont de bonnes raisons de les consulter, ils ne voient qu’un échantillon biaisé de la population, et risquent d’en tirer une vision biaisée des relations entre performance cognitive et troubles psychologiques. Notre revue systématique de littérature a confirmé l’omniprésence de ce biais, en montrant que les études qui se basent sur un recrutement pré-sélectionné des personnes à haut QI ne donnent pas les mêmes résultats que celles qui se basent sur une population entière.
Références
Labouret, G. (2022). Tests de QI: Les écarts entre scores [Blog]. https://www.labouret.net/tests-qi/ecarts-scores/
Labouret, G., & Grégoire, J. (2018). La dispersion intra-individuelle et le profil des scores dans les QI élevés. ANAE – Approche Neuropsychologique Des Apprentissages Chez l’Enfant, 30, 271–279.
Peyre, H., Ramus, F., Melchior, M., Forhan, A., Heude, B., & Gauvrit, N. (2016). Emotional, behavioral and social difficulties among high-IQ children during the preschool period: Results of the EDEN mother-child cohort. Personality and Individual Differences, 94, 366–371.
Shevchenko, V., Labouret, G., Guez, A., Côté, S., Heude, B., Peyre, H., & Ramus, F. (2023). Relations between intelligence index score discrepancies and psychopathology symptoms in the EDEN mother-child birth cohort. Intelligence, 98, 101753. https://doi.org/10.1016/j.intell.2023.101753
Williams, C. M., Peyre, H., Labouret, G., Fassaya, J., Guzmán García, A., Gauvrit, N., & Ramus, F. (2023). High intelligence is not associated with a greater propensity for mental health disorders. European Psychiatry, 66(1), e3. https://doi.org/10.1192/j.eurpsy.2022.2343