Voir dans les méandres du cerveau

20.09.2024
Sur fond noir, une multitude de très minces filaments colorés. Ils sont tellement nombreux qu'ils se chevauchent les uns les autres. De gauche à droite, on voit se succéder un amas de filaments fuchsia, puis rouges, jaunes et bleus. Les filaments sont orientés en diagonale vers le coin supérieur droit de l'image. Au bout de chaque filament, il y a un renflement.

Dans cet échantillon, on dénombre 57 000 cellules irriguées par 23 cm de vaisseaux sanguins. Les couleurs ont été ajoutées numériquement : les neurones bleus sont proches de la surface du cerveau ; les fuchsia sont plus profonds. Photo: Laboratoire de Jeff Lichtman, Université Harvard

Jamais une carte cérébrale n’avait atteint une telle précision ! Voici la jungle inextricable des neurones dans un petit bout de cortex humain.

C’est un peu comme si on admirait de très près une galaxie et ses milliards d’étoiles : l’enchevêtrement dense de fibres neuronales donne presque le vertige. Et pour cause, dans ce tout petit millimètre cube de cerveau humain, on trouve environ 57 000 neurones, dont les branches se connectent en 150 millions de points !

Cette « carte » colorée est le fruit d’une décennie de collaboration entre des neuroscientifiques de l’Université Harvard et de Google Research. Il s’agit de la reconstitution la plus précise à ce jour de la structure du cortex humain (enfin… au sein d’un volume équivalent à un demi-grain de riz).

Tout a commencé par le prélèvement d’un fragment de cerveau chez une femme opérée contre l’épilepsie. L’échantillon a ensuite été figé et découpé en 5000 tranches, d’une épaisseur de quelques nanomètres chacune, qui ont été photographiées au micro­scope électronique. Finalement, les images ont été combinées pour produire une copie virtuelle 3D du modèle initial. Résultat : un atlas cérébral aux allures d’œuvre d’art, qui compile 1,4 pétaoctet de données – soit l’équivalent de 500 milliards de pages de texte imprimées !

« La microscopie électronique [qui emploie un faisceau d’électrons plutôt que de la lumière] est utilisée en neuro­sciences depuis plusieurs décennies, mais ce n’est que récemment que les progrès technologiques ont permis d’acquérir des données en coupes successives à cette échelle », explique Daniel Berger, coauteur de ce travail publié dans Science en mai dernier, et chercheur dans l’équipe de Jeff Lichtman, à Harvard.

Ce dernier est un pionnier de la « connectomique », soit l’étude de la façon dont les neurones sont connectés entre eux et forment des circuits. On lui doit la jolie technique « Brainbow », mise au point en 2007 et perfectionnée depuis. Elle consiste à introduire dans les neurones de souris quatre gènes produisant de façon aléatoire et en quantités variables quatre molécules fluorescentes. Chaque neurone émet alors une combinaison lumineuse, donc une couleur, qui lui est propre parmi plus d’une centaine de couleurs possibles, ce qui permet de le différencier de ses voisins.