C’est l’histoire d’un octogénaire qui se présente aux urgences. Il vient à nouveau de présenter une syncope, la troisième en trois mois. Tous ces épisodes sont survenus alors qu’il marchait : il se met à accélérer puis à chanceler, avant de perdre brutalement connaissance. La dernière syncope l’a fait chuter face contre terre, avec pour conséquence une rupture du globe oculaire.
À l’admission à l’hôpital, ce patient se plaint d’une douleur de l’œil droit et d’une perte de la vision du même côté. Il ne peut que percevoir la lumière. Sa tension artérielle est élevée : 160/76 mmHg.
Ce patient a récemment présenté des symptômes neurologiques pouvant être attribués à une sclérose latérale primitive, maladie due à une atteinte sélective de la voie commandant la motricité et qui se traduit chez cet homme par une spasticité (rigidité) des membres supérieurs. Une IRM cérébrale, réalisée trois mois plus tôt, a montré une atrophie du cerveau liée à l’âge et une maladie ischémique microvasculaire chronique (insuffisance d’apport en oxygène par les petits vaisseaux cérébraux).
Une image visuelle qui pivote à 180 degrés
Trois jours après son admission à l’hôpital, le patient voit soudainement les objets qui l’entourent de façon inversée à 180 degrés. Il remarque alors que l’horloge sur le mur est à l’envers, tout comme les personnes de l’équipe médicale. Ceci se produit pendant une durée inférieure à 30 secondes, alors qu’il est allongé sur son lit.
Ce cas clinique a été rapporté le 28 décembre 2023 dans la revue en ligne BMJ Case Reports par Cassandra Mullen et ses collègues de l’université de l’Oregon à Portland. Leur patient présente ce que l’on appelle une métamorphopsie avec inversion de l’image.
Ce terme, créé en 1998, désigne un trouble visuel rare qui s’accompagne temporairement d’une rotation à 180 degrés dans le plan frontal de l’image visuelle, de telle façon que la personne voit alors soudainement son environnement à l’envers pendant un instant. Ce symptôme a été décrit pour la première fois au XIXe siècle comme étant un symptôme de l’hystérie.
D’autres termes sont parfois utilisés pour désigner ce que l’on appelle en anglais la reversal-of-vision metamorphopsia (RVM) : room-tilt illusion (illusion de la pièce inclinée), upside-down vision (vision à l’envers), inverted vision (vision inversée).
La métamorphopsie désigne un trouble de la vision caractérisé par une déformation des images, dans leur forme, dans leur taille, leur emplacement, leur couleur.
Métamorphopsie avec inversion de l’image
Les causes les plus fréquentes de la métamorphopsie avec inversion de l’image sont un AVC (infarctus cérébral aigu) siégeant dans la circulation postérieure, une hémorragie intracrânienne, des troubles du système vestibulaire tels que la maladie de Ménière (caractérise par des crises de vertige), une tumeur du sac endolymphatique, une infection par le virus varicelle-zona (VZV) du nerf vestibulaire, une atteinte du nerf vestibulaire lors d’une intervention chirurgicale, un épisode aigu de maladie démyélinisante (sclérose en plaques), une toxicité due aux opioïdes, une épilepsie focale, une migraine, un traumatisme.
Publiée en 2022, une revue systématique de la littérature médicale et méta-analyse de tous les cas publiés n’a dénombré que 52 cas de métamorphopsie avec inversion de l’image (RVM) décrits dans 28 articles différents. Les informations sur ce trouble visuel sont donc très limitées. Le premier article sur ce thème a été publié en 1974.
Dans la plupart des cas, l’atteinte du système nerveux central concernait les régions postérieures, en particulier le tronc cérébral, le cervelet ou la partie périphérique des voies vestibulaires issues de l’oreille interne.
L’âge des patients était compris entre 12 et 85 ans. On compte plus d’hommes que de femmes (66 % vs. 34 %). Selon les cas, la durée de l’épisode d’inversion de l’image visuelle varie de quelques secondes à quelques minutes, parfois plusieurs heures. Lorsque l’on exclut les écarts trop importants, la durée moyenne d’un tel épisode est de 12 minutes.
Il existe une différence de durée statistiquement significative entre les épisodes ayant une cause ischémique, qui peuvent persister quatre heures, et ceux relevant d’une cause vestibulaire (qui ont une durée d’environ 30 minutes).
Lorsque survient un AVC aigu, des voies neurologiques fonctionnelles semblent capables de suppléer rapidement celles qui ne fonctionnement plus. Cette redondance neuronale permettrait de reconstruire des cadres de références spatiales et de rétablir l’orientation normale du champ visuel environnant. Ceci expliquerait donc que la métamorphopsie avec inversion de l’image soit généralement de courte durée. Dans tous les cas, elle disparaît spontanément, sans que le traitement prescrit au cas par cas n’ait démontré un quelconque bénéfice.
Les symptômes associés les plus fréquents sont vertiges, nausées et vomissements. Un mal de tête (céphalée) n’est présent que dans environ 15 % des cas. Une série de mouvements oscillatoires, involontaires et saccadés des globes oculaires (nystagmus) est observée dans environ un tiers des cas. Une ataxie, définie par un trouble de la coordination motrice avec atteinte du maintien postural et de l’équilibre, est observée dans environ un cas sur cinq. Elle peut se manifester par une démarche instable et titubante, comme dans le cas récemment rapporté.
On ne connaît pas précisément les mécanismes physiopathologiques à l’origine de cet étrange symptôme. On estime qu’il serait dû à une atteinte des réseaux sensoriels qui intègrent les stimuli visuels, vestibulaires et tactiles, avec pour conséquence une incapacité de traiter les images rétiniennes normalement inversées. Il faut en effet savoir que les images perçues par les yeux, lorsqu’elles frappent notre rétine, sont à l’envers. Par la suite, le cerveau interprète l’image pour la présenter à l’endroit, dans sa réalité verticale, et on la perçoit donc dans le bon sens.
Mais revenons au cas rapporté par des neurologues de la faculté de médecine de l’université de Portland dans BMJ Case Reports.
Le patient a passé une angiographie cérébrale numérisée. Cet examen, qui permet d’explorer les vaisseaux intracrâniens, révèle la présence de multiples rétrécissements et occlusions dans les circulations cérébrales antérieure et postérieure, notamment au niveau de l’artère vertébrale gauche (au niveau du cou) et de l’artère basilaire, vaisseau né de la réunion des artères vertébrales et situé à la base du crâne.
Compte tenu de ces multiples sténoses artérielles, les médecins ont considéré que ce patient n’était pas éligible à la pose d’un stent intracrânien pour dilater les artères. La rupture du globe a par ailleurs été réparée chirurgicalement. Malheureusement, cet octogénaire a par la suite perdu toute vision de l’œil droit.
Au cours de l’année suivante, bien que ce patient ait continué à présenter des syncopes ayant parfois entraîné des chutes, il n’a plus connu d’autres épisodes d’inversion de l’image du champ visuel. Deux ans plus tard, il a subi un accident vasculaire cérébral ischémique et le diagnostic de démence a été posé.
Il est probable qu’une perfusion inadéquate du cortex postérieur, du fait d’un ralentissement du flux sanguin causé par les sténoses de l’artère basilaire et de l’artère vertébrale, a entraîné chez ce patient une syncope et une métamorphopsie avec inversion de l’image. Le traitement antihypertenseur du patient a ensuite été allégé afin de maintenir une pression artérielle suffisante dans la circulation cérébrale.
Voir des gens marcher sur le plafond
Un autre cas de métamorphopsie avec inversion de l’image a été rapporté en décembre 2023 par un médecin australien dans le Journal of Neuro-Ophthalmology. Il concerne un homme de 77 ans qui était obligé de fermer les yeux car sa vision inversée provoquait des nausées et des vomissements. Il déclarait voir des personnes marcher au plafond, comme si c’était le plancher, et pour lui les objets du côté droit de son environnement étaient à l’envers et se situaient du côté gauche de son champ visuel, de telle façon qu’il ne parvenait jamais à toucher un objet lorsqu’il le voulait.
L’IRM cérébrale a par la suite révélé un infarctus aigu de petite taille de la région postérieure du cervelet. Les symptômes ont complètement disparu après 72 heures.
Dans une étude, publiée dans la revue Archives of Neurology en 1998, et portant sur six cas de RVM, un des patients voyait les gens marcher sur la tête et avait noté que les fenêtres proches du plafond étaient à portée de main. Il avait en outre remarqué qu’une tasse de thé reposait à l’envers sur une étagère, mais que curieusement le thé ne tombait pas par terre. Les auteurs indiquaient par ailleurs que trois patients avaient ressenti une légère sensation d’inclinaison ou de lévitation du corps. Cependant, aucun n’avait éprouvé une inversion complète de son corps dans l’espace. En d’autres termes, aucun patient n’avait eu la sensation de marcher lui-même sur la tête. À ce propos, notons que seulement cinq patients décrits dans la littérature à l’époque avaient présenté des altérations spectaculaires de la perception corporelle (inclinaison du corps, inversion complète du corps, inclinaison de la tête).
Seulement trois cas associés à une perte de connaissance
On ne dénombre dans la littérature médicale que trois autres cas de métamorphopsie avec inversion de l’image (RVM) associée à une perte de connaissance transitoire. En 2003, des neurologues américains ont rapporté le cas d’un homme de 76 ans ayant présenté de multiples épisodes de RVM et qui avait été retrouvé au sol par sa femme. La cause du RVM avait été attribuée, sans certitude, à des crises épileptiques.
En 2006, une équipe turque a décrit le cas d’un adolescent de 16 ans qui a présenté deux épisodes de RVM avec altération de la conscience, lesquels furent, là encore, mis sur le compte d’une épilepsie, pas d’une syncope. Enfin, en 1993, des neurologues italiens ont rapporté la survenue d’une RVM chez une femme de 52 ans qui présentait une diminution du flux sanguin dans la circulation de la région postérieure du cerveau (insuffisance vertébro-basilaire).
Quoi qu’il en soit, avec ou sans perte de connaissance, les données montrent qu’il est difficile de différencier cliniquement les épisodes de vision inversée relevant d’une cause bénigne de celles qui témoignent de la présence d’une pathologie plus sérieuse. Il importe donc que les cliniciens n’hésitent pas à demander une imagerie de la tête et du cou, en particulier quand la RVM dure plusieurs heures.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur BlueSky, X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, et sur mon autre blog ‘Le diabète dans tous ses états‘, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 56 billets).
Pour en savoir plus :
Mullen C, Jacobs Z, Pettersson D, Hunter A. Turning the world upside down: reversal-of-vision metamorphopsia in a patient with syncope. BMJ Case Rep. 2023 Dec 28;16(12):e255453. doi: 10.1136/bcr-2023-255453
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Katsuki K ,Tanaka S, Matsumoto T. Dizziness and reversal of vision metamorphopsia due to cerebellum infarction caused by a vertebral artery stenosis: a case report. JJAAM. 2023; 34: 92-6. doi: 10.1002/jja2.12788
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