La myopie est un problème de santé publique. Les chiffres sont inquiétants, d’après le Brien Holden Vision Institut (2016), 52% de la population mondiale sera myope d’ici 2050.
La myopie est reconnue depuis 2016 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme un problème de santé publique. La prévalence de la myopie a presque doublé dans les vingt dernières années dans les sociétés orientales et occidentales. La prévalence parmi les jeunes adultes est supérieure à 80% dans de nombreuses régions asiatiques, et supérieure à 50% aux Etats-Unis et dans certaines régions d’Europe.
Épidémie en France
Selon les estimations de la Haute Autorité de Santé fondées sur une étude épidémiologique de référence sur la progression de la myopie, en 2022, 510 000 enfants entre 6 et 15 ans présentent une myopie évolutive, c’est-à-dire une progression myopique supérieure à 0,50δ par an. La prévalence est de 23,7% pour ces enfants entre 6 et 15 ans. Les filles sont plus touchées que les garçons (26,7% contre 20,9%).
Physiologie oculaire
À la naissance, le système visuel est immature. S’il n’est pas stimulé, il ne se développe pas. Les études de Clergeau (2007a) ont établi que l’acuité visuelle du nouveau-né est environ de 1/20ème.
Fledelius et Christensen (1996) donnent des valeurs normales de 17,02 millimètres à la naissance, 20,19 mm à 1 an, 21,31 mm à 2 ans, 22,07 mm à 3 ans, avec un maximum de 23 mm à 10 ans.
Larsen (1971) grâce à ses études 1, II, III et IV retrouve des données similaires avec des longueurs axiales qui sont de 16,78 mm à la naissance, de 18,21 mm à 6 mois, de 20,61 mm à 1 an, de 20,79 mm à 2 ans, de 21,27 mm à 3 ans, de 21,85 mm à 5 ans, de 22,50 mm à 10 ans, de 23,15 mm à 13 ans, ce qui coïncide avec le terme de la croissance de l’œil.
Nous retenons les valeurs suivantes : 17 mm à la naissance, 18,5 mm à 6 mois, 20 mm à 1 an, 21 mm à 2 ans, 21,5 mm à 3 ans, 22 mm à 5 ans, 22,5 mm à 10 ans, 23 mm à 13 ans.
La majorité du développement du globe oculaire se fait durant les 3 premières années de vie, ensuite l’évolution est de 0,05mm à 0,1 mm par an.
Cette croissance rapide du globe est principalement due à la croissance de la sclère et du vitré, la surface de la cornée variant proportionnellement peu entre la naissance et 2 ans.
1. Phénomène d’emmétropisation
Il s’agit du phénomène qui conduit l’œil au statut d’emmétrope.
L’emmétropisation est le résultat d’un processus à la fois passif et actif :
- – Le processus passif: Cette croissance du globe entraîne une réduction du système dioptrique de l’œil proportionnelle à l’augmentation de la longueur axiale. Le pouvoir dioptrique de la cornée est diminué par augmentation de son rayon de courbure. La puissance du cristallin est diminuée pour la même raison et son action amoindrie par une augmentation de la profondeur de la chambre antérieure. Lorsque ces changements ne sont pas proportionnels, une amétropie en résulte.
- – Le processus d’emmétropisation actif implique une information de feedback de la rétine concernant la qualité de focalisation de l’image avec adaptation conséquente de la longueur axiale. Il peut être considéré comme un ajustement fin complétant le processus passif.
L’emmétropisation active se déroule pendant la tendre enfance, mais l’œil reste malléable aux conditions environnementales jusqu’à l’âge de jeune adulte.
L’hérédité conditionne l’emmétropisation passive en déterminant la tendance du globe à atteindre certaines proportions, et l’environnement semble jouer un rôle en influençant l’action des mécanismes d’emmétropisation active.
2. Principe de la défocalisation hypermétropique
A – Chez l’emmétrope :
En rétine centrale, les rayons lumineux convergent et se focalisent parfaitement sur la macula, permettant la vision nette au loin. En rétine périphérique, les rayons lumineux convergent et se focalisent en arrière de la rétine, entraînant un flou en rétine périphérique. C’est la défocalisation hypermétropique.
B – Chez le myope portant des verres unifocaux :
En rétine centrale, les rayons lumineux convergent et se focalisent maintenant parfaitement sur la macula, permettant la vision nette au loin. En rétine périphérique, la correction unifocale ne corrige pas la défocalisation hypermétropique qui existe toujours en rétine périphérique. Cette défocalisation hypermétropique est un stimulus à l’augmentation de la longueur axiale de l’œil, et donc à l’évolution myopique.
C – Principe de la défocalisation myopique en contrôle de la myopie
Pour contrôler la myopie, les solutions adaptées à défocalisation myopique permettent :
- – En rétine centrale : de corriger la focalisation pour donner une vision nette au loin.
– En rétine périphérique : de réduire la défocalisation hypermétropique.
Les rayons convergent alors en avant de la rétine.
- 3. Myopie évolutive
C’est l’état réfractif de l’œil supérieur à -0,50δ chez l’enfant, avec une combinaison de facteurs de risque quantifiables (réfraction actuelle, âge, etc.) qui entrainent une probabilité suffisante d’évolution de myopie. La myopie évolutive est une combinaison entre une myopie réfractive et une myopie axile. Le but de la prise en charge de la myopie évolutive est d’essayer de freiner la progression de la myopie.
Il existe de nombreux facteurs qui peuvent accélérer l’évolution myopique : l’âge d’apparition de la myopie, l’historique familial, l’ethnicité, le temps passé à l’extérieur et le temps passé en vision de près.
A – Âge d’apparition de la myopie
Plus la myopie apparaît tôt, plus elle évoluera rapidement, et plus la valeur finale de la myopie sera importante.
D’après l’étude de Donavan et al. (2015a), la myopie semble apparaître de plus en plus tôt, elle apparait en moyenne entre 8 et 10 ans le plus souvent. Si l’enfant a moins de 8 ans et qu’il commence à être myope, c’est un facteur de risque élevé d’évolution myopique. Cette étude est corrélée par celle de Tricard et al. (2021).
B – Historique familial
Les études de Kurtz et al. (2007) et de Loh et al. (2015) permettent d’établir que la myopie d’un ou des deux parents augmente le facteur de risque myopique de l’enfant.
La génétique de la myopie, c’est au moins 20 paires de chromosomes concernées, et plus de 50 gènes impliqués. Ce patrimoine génétique a pour conséquence le remodelage scléral et l’allongement du globe oculaire.
C – Ethnicité
La prévalence de la myopie est proportionnellement plus importante dans la population asiatique que dans la population européenne.
L’étude de Donavan et al. (2012b) et celle d’Hyman et al. (2005) montre que la myopie chez les enfants d’ethnicité asiatique progresse plus rapidement que chez les enfants d’ethnicité non-asiatique.
D – Temps passé à l’extérieur
L’exposition à la lumière du jour à un Impact sur la freination de l’évolution myopique.
L’étude à Taiwan de Wu et al. (2013) sur 700 enfants montre qu’une augmentation du temps de récréation (+ 40 minutes/jour) entraine chez les myopes une diminution de la myopie de 30%.
Il est recommandé de passer au moins 2 heures par jour à l’extérieur. Peu d’études ont été réalisées entre la quantité d’évolution myopique et temps passé à l’extérieur.
E – Temps passé en vision de près :
Selon les recherches de Bao et al. (2015), les paramètres facteurs d’évolution myopique sont :
- – Une distance de travail trop proche, inférieur à 25 cm
- – Un temps passé en lecture maintenu trop important, supérieur à 45 minutes (sans pauses)
- – Manque de luminosité lors des activités VP
F – Autres facteurs :
Il existe d’autres facteurs, qui jouent un rôle estimé comme étant moins important : déprivation visuelle, accommodation, lumière bleue et violette, myopie nocturne, alimentation, mois de naissance, niveau d’étude, anthropométrie, intelligence, sexe et réfraction périphérique.
G – Complications associées à la myopie évolutive.
En cas de myopie évolutive, les risques de développer une pathologie oculaire augmentent.
Holden et al. (2016) montrent qu’environ 1% de la population mondiale est atteint d’une pathologie liée à sa myopie et estiment une augmentation à 10% de cette population en 2050. L’allongement de la longueur de l’œil entraîne un risque significatif de complications pathologiques pour l’œil et la vision.
D’après World Health Organization (2015), les conséquences de la myopie sont =
La dégénérescence maculaire myopique : c’est la première complication pathologique de la myopie. Cela engendre des altérations au niveau de la rétine : rupture de la membrane de Bruch, néovascularisation choroïdienne (CNV = néovascularisation choroïdienne), atrophie rétinienne.
La déchirure et le décollement rétinien : Une élongation axiale provoque un affinement de l’épaisseur rétinienne ce qui engendre un risque de déchirure.
Les corps flottants.
– Le glaucome à angle ouvert : 10% des patients atteints de myopie forte développent un glaucome (contre 2% sans myopie forte).
– La cataracte : Elle est plus précoce en moyenne de 10 ans plus tôt chez le sujet myope.
Tableau 1. Complications liées à la quantité de myopie d’après Pauné (2018).
Quantité de myopie | Cataracte | Glaucome | Déchirure rétinienne | Maculopathie myopique |
-1δ à -3δ | 2x | 4x | 3x | 2x |
-3δ à -6δ | 3x | 4x | 9x | 10x |
>-6,00δ | 5x | 14x | 22x | 41x |
D’après Bullimore et al. (2019), plus la myopie augmente, plus le risque de maladies oculaires est élevé.
H – Tests différentiels à effectuer pour la mise en évidence de la myopie évolutive : il existe deux indicateurs à l’évolution de la myopie :
- – La mesure de l’évolution de la réfraction VL qui doit être réalisée sous cycloplégie.
- – La mesure de l’évolution de la longueur axiale de l’œil, effectuée grâce à un biomètre.
Pour contrôler l’évolution de la myopie, il faut mettre en place un traitement de freination ou de contrôle de la myopie, avec deux objectifs de corriger le défaut réfractif de la myopie et de freiner l’évolution de la myopie.
Tableau 2. Vitesses de progression du défaut réfractif en moyenne par an d’après l’étude de Mutti et al. (2007).
Vitesses de Progression |
Lente | Moins de -0,25δ/an |
Moyenne | Entre -0,25δ et -0,75δ/an |
Rapide | Plus de -0,75δ/an |
La comparaison des mesures obtenues aux valeurs de longueurs axiales précédentes permet d’évaluer l’évolution de la longueur axiale.
On peut ensuite comparer l’évolution moyenne chez cet enfant à la progression moyenne de la longueur axiale chez un enfant myope corrigé. Après 10 ans, la vitesse de progression axiale normale est de 0,1 mm/an. On parle d’évolution rapide quand elle est supérieure à cette valeur.
L’évolution de la longueur axiale du globe est le meilleur indicateur d’évolution myopique, en recherche, et aussi en clinique. Cette mesure est jusqu’à 10 fois plus pertinente et sensible pour détecter et suivre la progression myopique, par rapport à la réfraction. Maintenir la myopie en dessous de -3.00δ et la longueur axiale en dessous de 26 mm permettra de diminuer à long-terme le risque de déficience visuelle et de pathologie oculaire. Une myopie faible ne signifie pas forcément une longueur axiale normale ou faible.
D’après l’étude de Hou et al. (2018), la croissance de la longueur axiale est terminée autour de l’adolescence (vers l’âge de 16 ans). Elle est environ de 23 mm chez la fille et de 23,5 mm chez le garçon (emmétrope).
Chez le myope, la croissance de la longueur de l’œil commence à s’accélérer avant l’apparition de la myopie et continue ensuite.
Tableau 3. Évolutions de la longueur axiale chez les enfants selon Clergeau (2007b).
| Évolutions de la longueur axiale chez les enfants qui restent emmétropes | Evolutions de la longueur axiale chez les enfants qui deviennent myopes |
Avant 10 ans | 0,1 à 0,2 mm/an | +/-0,30 mm/an |
Après 10 ans | < 0,1 mm/an | +/-0,20 mm/an |
Généralement, le fort myope présente une longueur axiale plus importante.
La règle théorique est qu’une évolution axiale de 1 mm engendre une myopisation de 2,60δ.
En réalité, selon plusieurs études, cette évolution axiale engendrerait :
- – 1 mm = 2,40δ (étude Chamberlain et al. MiSight (2019))
- – 1 mm = 1,63δ (étude Walline et al. BLINK (2020))